Le budget prévisionnel, comment ça
marche ?
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50
M€ pour l ’ASM, 70 M€ pour Paris, 140 M€ pour
Lyon, le budget prévisionnel, chiffre ronflant annoncé en grande pompe par
les dirigeants en début de saison, affirme la puissance financière et donc
sportive des clubs. Elle rassure supporters, joueurs, actionnaires...
Mais à quoi correspondent réellement ces sommes ? Comment se forment
ces budgets ? Quelles sont les dérives ? Nous tentons d’y
répondre avec l’exemple de l’AS Moneghetti FC,
grand club imaginaire du championnat de France.
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La définition du budget :
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Tout d’abord, qu’est-ce qu’un
"budget prévisionnel" ? C’est avant tout un pléonasme. Le terme "prévisionnel" est déjà intégré dans la notion même de "budget".
En termes
économiques, le "budget" est une
prévision détaillée des recettes et des dépenses d’un agent économique pour
une certaine période. En d’autres termes, un budget est une somme d’informations
rassemblant les recettes attendues et les dépenses envisagées que ce soit
pour une famille, une association, une société, un état et donc un club de
football.
Le budget
est donc une estimation, une prévision sur une période future donnée, et
non une certitude de l’instant. Et lorsqu’à l’estimation du futur, forcément
imparfaite de nature, se joint la glorieuse incertitude du sport, les choses
se compliquent un petit peu.
Un budget
s’établit sur un prochain exercice. L’exercice d’un club de football se déroule sur l’année sportive, une
saison. Plus précisément du 30 juin de n année au 30 juin de n+1 année.
Il faut
déterminer quels types de recettes et quels types de dépenses un club de
football peut avoir au cours d’un exercice.
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Voici le budget très simplifié hors
transferts d’un club de football français qualifié pour la Ligue des Champions :
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Budget
prévisionnel
|
Recettes (en M€)
|
Dépenses (en M€)
|
Sponsoring
|
?
|
Masse
salariale
|
?
|
Subventions
|
?
|
Charges
diverses
|
?
|
Billeterie
|
?
|
Frais
de fonctionnement
|
?
|
Merchandising
|
?
|
|
|
Reversements
LFP/UEFA + droits TV
|
?
|
|
|
|
Total
|
?
|
Total
|
?
|
|
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Nous allons sur cette base proposer un exemple de
constitution d’un budget d’un grand club français imaginaire.
Note : la vulgarisation du procédé avec la
simplification du budget et les sommes fantaisistes utilisées constituent
un choix conscient afin de servir le mieux possible la démonstration.
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I - Etablissement du budget prévisionnel de l’AS Moneghetti FC
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L’AS Moneghetti
FC est un grand club du Championnat de France qui vient de terminer deuxième
de la saison 2006/2007. Il est donc qualifié pour la Ligue des Champions. Au
30 juin 2007, le club doit donc préparer son budget pour la saison à venir
2007/2008. Il va donc faire une estimation de ses futurs revenus et une
estimation de ses futures dépenses au cours de la saison.
Un budget se doit d’être équilibré, le club va donc
tabler sur un budget dont les dépenses n’excèderont pas les recettes. Le
budget étant une estimation, le club se doit de procéder par étapes
successives, en se basant de plus sur l’effectif qu’il possède au 30 juin
2007 (donc l’effectif de la saison passé).
1) Rassembler les recettes et dépenses certaines
Il a déjà été assez souligné
que le budget est une estimation donc est incertain. Cependant, certaines
recettes et certaines dépenses sont heureusement identifiables sans avoir
besoin de se projeter dans le futur.
a) Recettes :
L’AS Moneghetti
FC dispose d’un contrat en cours avec l’équipementier Adibal. La marque aux six bandes verse 7 M€ par an au
club. Le sponsor pétrolier Tamale verse quant à lui 3 M€ annuels pour
s’afficher sur le maillot. Grâce aux partenariats que l’AS Moneghetti FC a conclu, le club sait déjà qu’il récupérera
10 M€ quoi qu’il arrive.
Enfin, le club sait déjà qu’il
pourra bénéficier de subventions publiques à hauteur de 1,5 M€.
b) Dépenses :
Du côté des dépenses, les
joueurs composant l’effectif ainsi que leurs salaires annuels, hors prime
de résultats sont clairement identifiés. L’ensemble des salaires représente
25 M€. Les charges sociales qui en découlent vont avoisiner les 7,5
M€. La masse salariale est alors de 32,5
M€.
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Budget
prévisionnel 2007/2008 de l’AS Moneghetti FC
|
Recettes (en M€)
|
Dépenses (en M€)
|
Sponsoring
|
10
|
Masse
salariale
|
32,5
|
Subventions
|
1,5
|
Charges
diverses
|
?
|
Billeterie
|
?
|
Frais
de fonctionnement
|
?
|
Merchandising
|
?
|
|
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Reversements
LFP/UEFA + droit TV
|
?
|
|
|
|
Total
|
?
|
Total
|
?
|
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2) Les recettes et dépenses facilement estimables
Certaines recettes et dépenses
sont facilement estimables, pour la simple et bonne raison qu’elles
évoluent peu d’une année sur l’autre, à l’exception d’une saison sportive
très exceptionnellement bonne ou très exceptionnellement mauvaise par
rapport au standing moyen du club. Les recettes et dépenses réelles dans
ses catégories pour les saisons précédentes vont donc permettre d’estimer
les futures recettes et dépenses avec une marge d’erreur minime.
a) Recettes :
L’AS Moneghetti
FC peut déjà tabler, au vu des exercices précédents, sur le fait que les matchs à
domicile auront une affluence moyenne aux alentours de 10 000 spectateurs
et que 3000 fans prendront un abonnement au "Passage", la tribune des
ultras. Cela correspondra environ à un pactole de 7,5 M€.
Côté merchandising, le club
sait qu’il peut tabler sur la vente moyenne de 20 000 maillots et 5 000
écharpes, ce qui correspond à peu près à 5 M€.
b) Dépenses :
Les charges diverses s’élèveront comme à l’accoutumée
aux alentours de 4,5 M€, et les frais de fonctionnement de 7 M€.
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Budget
prévisionnel 2007/2008 de l’AS Moneghetti FC
|
Recettes (en M€)
|
Dépenses (en M€)
|
Sponsoring
|
10
|
Masse
salariale
|
32,5
|
Subventions
|
1,5
|
Charges
diverses
|
4,5
|
Billeterie
|
7,5
|
Frais
de fonctionnement
|
7
|
Merchandising
|
5
|
|
|
Reversements
LFP/UEFA + droit TV
|
?
|
|
|
|
Total
|
?
|
Total
|
44
|
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3) Les recettes déterminées par
l’incertitude sportive
Voici la partie la plus
intéressante du budget. C’est aussi la partie la plus difficilement
estimable car liée aux incertitudes du sport. Comment l’AS Moneghetti FC peut-elle faire une estimation sur les
futurs reversements des instances sportives (LFP, UEFA) alors que ceux-ci
sont justement fonctions des futurs résultats qu’obtiendra le club en
championnat et en Coupe d’Europe ?
Le club doit donc déterminer
ses objectifs sportifs. L’AS Moneghetti étudie
donc ses propres forces (la qualité de son effectif) ainsi que la qualité
de sa concurrence. Le but est de déterminer ce qui sera au moins réalisable
en championnat et en Coupe d’Europe afin de déterminer la somme minimum que
le club obtiendra au vu de ces résultats.
L’AS Moneghetti
est un club fort et ambitieux qui va raisonnablement jouer le titre de
Champion de France et souhaite arriver au moins en quarts de finale de la
C1. Il estime donc qu’au minimum, le club finira dans les trois premiers
du championnat et passera la première phase de poules de la C1.
Or, une place de troisième
en championnat rapporte 18 M€ et une élimination en huitièmes de finale de la
C1 devrait rapporter 8 M€. L’estimation est faite, l’AS Moneghetti
table sur une recette de 26 M€.
Nul doute que l’AS Moneghetti
joue à un jeu dangereux en tablant avec certitude sur des résultats si
positifs. Même si le club est fort sur le papier et ambitieux, il n’est pas
à l’abri d’une contre-performance sportive. Son budget pourrait ainsi être
faussé. Dans ce cas, en fin d’exercice, le budget serait déficitaire. Mais
ceci est le lot commun de tous les clubs de football et nous étudierons de
plus près ce comportement dans la dernière partie de ce dossier.
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Budget
prévisionnel 2007/2008 de l’AS Moneghetti FC
|
Recettes (en M€)
|
Dépenses (en M€)
|
Sponsoring
|
10
|
Masse
salariale
|
32,5
|
Subventions
|
1,5
|
Charges
diverses
|
4,5
|
Billeterie
|
7,5
|
Frais
de fonctionnement
|
7
|
Merchandising
|
5
|
|
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Reversements
LFP/UEFA + droit TV
|
26
|
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Total
|
50
|
Total
|
44
|
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L’AS Moneghetti FC peut donc
ainsi le communiquer : le budget prévisionnel du club sera de 50 M€. Voici donc l’origine de ces fameux
chiffres ronflants que l’on voit dans la presse. Vu comme ça, ces sommes
annoncées fièrement par les dirigeants pour prouver que leur club est très
puissant perdent tout de même un peu de leur crédibilité.
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4) Déterminer le budget pour les transferts
Grâce aux informations
recueillies en constituant le budget prévisionnel, le club peut enfin
déterminer son budget transfert. On remarque que la différence entre les
recettes et les dépenses prévues est de +6 M€. Le club peut donc investir
jusqu’à 6 M€ dans les transferts
sans être dans le rouge en fin d’exercice, à condition bien sûr que les
estimations soient bonnes.
A noter toutefois qu’il ne
faudra pas prendre en compte uniquement l’indemnité de transfert de
l’éventuel joueur recruté mais aussi son salaire annuel. La venue d’un
nouveau joueur alourdissant la masse salariale, le budget transfert
comprend aussi la masse salariale du joueur recruté.
Enfin, l’éventuelle vente de
joueurs permettra bien évidemment de grossir l’enveloppe des transferts par
le produit de la vente du joueur mais aussi par la baisse des dépenses en
salaire qui en découle. En conclusion, peu importe les joueurs et l’argent
qui va circuler dans les transferts, il suffira juste que la différence ne
soit pas supérieure à 6 M€ de dépenses.
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II – Les dérives : dilemmes budgétaires des
présidents
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1) Pourquoi les dirigeants sont-ils si souvent trop
optimistes ?
Nous avons pu remarquer un peu
plus haut que l’AS Moneghetti, en budgétisant sa
saison à venir, était "sûre" de parvenir au moins à la troisième place du
championnat et de se qualifier au moins pour les huitièmes de finale de la C1
(donc de récolter au minimum les primes et droits TV correspondant à ces
résultats). Evidemment, sauf catastrophe, un tel club devrait pouvoir le
réaliser, mais budgétiser en fonction d’un tel optimisme sans tenir compte
de l’incertitude sportive est un comportement assez dangereux.
Lorsque Guy Roux expliquait
qu’il jouait systématiquement le maintien à chaque début de saison, c’était
bel et bien une boutade en termes sportifs, mais réellement la philosophie
de son club en terme budgétaire. L’AJ Auxerre a toujours effectué les
estimations du pire afin d’avoir la certitude de ne pas être dans le rouge
en fin de saison. Un club comme Auxerre table réellement ses
recettes sportives (primes et droits TV LFP/UEFA) sur les pires résultats
envisagés à savoir une place de 17e en championnat et des éliminations au
premier tour de toutes les coupes.
Voila pourquoi l’AJ Auxerre
n’a jamais aucun problème avec la DNCG, le club réalisant (presque) systématiquement
des performances sportives au-dessus de ses estimations du pire. Et
même en faisant une mauvaise saison avec une place de 15e en championnat,
le club ne finit pas dans le rouge.
Mais ce comportement reste
très rare au sein des clubs de football, ce qui peut apparaître étrange de
prime abord. Depuis le temps que l’on voit dans la presse des articles
annonçant des déficits record d’un grand nombre de clubs, on est amené à
penser que les dirigeants aux estimations systématiquement optimistes sont
vraiment de bons idiots de ne pas tirer des leçons du passé.
Pourquoi donc prendre de tels
risques en connaissance de cause ? Pourquoi ne pas tabler tout simplement
sur le minimum sportif, à savoir sur le maintien en championnat et
l’élimination prématurée en C1 ?
Parce qu’autant vouloir viser
trop haut est risqué financièrement, autant viser trop bas constitue déjà
une quasi-certitude que le club n’atteindra justement pas les objectifs
souhaités. Faire une estimation du pire conduit en effet à avoir un budget
hors mutation au mieux tout juste équilibré, mais le plus souvent déjà
déficitaire.
Cette conclusion budgétaire
revient alors à dire que le club ne possède aucune liquidité pour recruter,
et devrait même se séparer de ses meilleurs joueurs solvables pour rétablir
l’équilibre du budget. Et qui dit aucun renfort, voire en plus perte de
joueurs de qualité, signifie rationnellement que le club fera une moins
bonne saison sportive que prévu et n’atteindra par conséquent pas les
objectifs souhaités.
Voilà donc tout le dilemme des
clubs lors de la constitution de leur budget :
1 - Tabler sur des résultats
sportifs très bons permettant justement de se donner les moyens suffisants
pour y parvenir mais avec une prise de risque maximale financièrement.
2 - Etre financièrement
prudent et tabler sur une saison du pire, et prendre le risque que cela
arrive effectivement vu que l’effectif ne sera pas renforcé et peut-être même
appauvri.
Voila ce qui explique pourquoi
l’on peut voir des excès et des dérives à l’image du Monaco 2000/2001 de Campora qui s’est vu trop beau, a trop dépensé et a
fini dans le rouge faute de résultats sportifs attendus... Et le Monaco
2005/2006 de Pastor, trop prudent, qui a refusé
d’effectuer les recrues nécessaires pour faire face aux ambitions et a, faute
de bons joueurs, vraiment effectué des résultats sportifs très pauvres.
2) Lorsque les transferts perturbent le budget
prévisionnel
Voici une autre dérive
directement imputée aux transferts des joueurs. Rappelons-le, le budget est
constitué en ne tenant PAS compte des possibles mutations. C’est
justement ce budget qui va permettre de connaitre le budget transferts du
club.
Revenons donc au cas de l’AS Mongehetti. Le club a, rappelons-le, estimé qu’il
ferait une saison sportive au minimum en atteignant la troisième place du
championnat et en se qualifiant pour les huitièmes de finale de la C1. Une
estimation qui devrait rapporter 18+8 soit 26 M€. Nous savons aussi que le
club peut dépenser jusqu’à 6 M€ dans les transferts.
Aussi, grâce à cette somme,
l’AS Moneghetti FC a réussi à attirer dans ses
filets la grande star argentine Marcelo Murcielago
pour 3M€ et le prometteur milieu défensif ivoirien Bouba
Touré pour 2M€. Les deux joueurs coûteront au club 1 M€ annuel
supplémentaire en masse salariale.
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Budget
prévisionnel 2007/2008 de l’AS Moneghetti FC
|
Recettes (en M€)
|
Dépenses (en M€)
|
Sponsoring
|
10
|
Masse
salariale
|
33,5
|
Subventions
|
1,5
|
Charges
diverses
|
4,5
|
Billeterie
|
7,5
|
Frais
de fonctionnement
|
7
|
Merchandising
|
5
|
Achat de joueur
|
5
|
Reversements
LFP/UEFA + droit TV
|
26
|
|
|
|
Total
|
50
|
Total
|
50
|
|
C’est à
ce moment précis que la dérive budgétaire va se former. Car forte de ses
nouvelles recrues qui renforcent considérablement son effectif, l’AS Moneghetti est désormais persuadée qu’elle fera bien
mieux que la troisième place du championnat et que les huitièmes de finale de la C1. Le club estime désormais
que le titre de Champion de France est presque acquis et que les
demi-finales de la C1
sont un objectif plus que réalisable.
Le budget va donc être changé,
car le club ne pense alors plus gagner 18+8 soit 26 M€ mais bien plus, soit
pour l’exemple 23+12 donc 35 M€,
correspondant à sa nouvelle estimation de gains de ses futurs résultats
sportifs.
De plus, la star argentine Murcielago devrait assurément engendrer des ventes
records de maillots, ce qui va augmenter les gains de merchandising de 1 M€,
pour passer à 6 M€.
|
Budget
prévisionnel 2007/2008 de l’AS Moneghetti FC
|
Recettes (en M€)
|
Dépenses (en M€)
|
Sponsoring
|
10
|
Masse
salariale
|
33,5
|
Subventions
|
1,5
|
Charges
diverses
|
4,5
|
Billeterie
|
7,5
|
Frais
de fonctionnement
|
7
|
Merchandising
|
6
|
Achat de joueur
|
5
|
Reversements
LFP/UEFA + droit TV
|
35
|
|
|
|
Total
|
60
|
Total
|
50
|
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Le budget prévisionnel de l’AS
Moneghetti passe ainsi de 50 M€ à 60 M€. Avec 60 M€ de recettes
envisagées et 50 M€ de dépenses, le club peut à nouveau dépenser encore
10 M€ supplémentaires dans les
transferts. Encore un peu plus d’argent qui va permettre d’acheter encore
plus de joueurs, qui va assurer encore plus de chances pour carrément viser
la victoire en Ligue des Champions...
Et ainsi de suite, le cercle
vicieux prend forme et de nombreux dirigeants souvent trop ambitieux
tombent largement dans ce piège. Car évidemment, plus l’estimation est
optimiste, plus les risques liés à l’incertitude sportive sont conséquents.
Encore une fois, trouver le
bon équilibre et la bonne estimation future est très délicat et la
tentation de prendre toujours plus de risques financiers afin d’assouvir de
grande ambitions sportives amène alors facilement à ces dérives où des
budgets prévisionnels trop fantaisistes et virtuels conduisent en fin
d’exercice à de larges déficits, bien réels quant à eux !
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